Le Pays des Bulles de Savon

L'histoire:

 

Alex adore faire des bulles de savon. Un jour, sa copine Natacha s'envole dans l'une de ces bulles et disparaît. Alex va partir à sa recherche. 

 

Chapitre 1

 

UN ELEVE DISTRAIT

 

Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais la classe m'ennuie beaucoup. Surtout quand la maîtresse fait le cours de mathématiques. C’est la matière que je déteste par-dessus tout. Et devinez quoi ? C'est justement ce cours-là qui se déroule en ce moment. Comme par hasard !

Elle est en train de dessiner sur le tableau des rectangles, des triangles. Maintenant, voilà un cercle.

Un cercle ! Le mot magique me fait frissonner. Le seul intérêt que je trouve à ce cours, ce sont ces ronds qui m’ont toujours fait rêver.

En ce moment, je suis sage comme une image. On me donnerait le bon dieu sans confession et pourtant, je suis ailleurs. Vous aurez peut-être du mal à me croire mais je suis...dans ma poche !

Ma main farfouille dans ma poche depuis une bonne minute. Elle est partie à la recherche d'un objet qui se cache toujours là. Un objet rond, qui fait des ronds. Aussi rond que mon visage.

L’objet qui est dans ma poche est la chose la plus importante de ma vie. Sans lui, je ne sais pas ce que je deviendrais. Je ne m'en sépare jamais. Même la nuit, je le garde près de moi, sous mon oreiller.

Dans la classe, j’ai une camarade préférée. Elle se nomme Natacha. Elle est assise à côté de moi. On se connaît depuis le début de l'année scolaire. Dès que je l’ai vue, j’ai tout de suite senti qu’on avait un point commun : on déteste les maths. Mais ce qui m’a le plus étonné en Natacha, c’est qu’elle possède un don de voyance incroyable. Elle prédit mon avenir rien qu'en me regardant. Et l'avenir en général se décline en visite chez le directeur !

Mon pied qui bat l'air comme pour détourner l’attention tandis que ma main caresse l'objet du futur délit ; elle s’en est aperçue. Et mon regard vers ma montre et mon soupir désespéré : encore une demi-heure avant la cloche ; elle les a remarqués. Elle sait que je ne pourrai pas résister à la tentation. Elle a essayé plusieurs fois de m’en empêcher mais en vain. À chaque fois, j’ai succombé. Maintenant, elle a renoncé !

Ma main sort de la poche, empoignant le chalumeau. J'essaie de rester discret, mais c'est difficile. Quasiment impossible. Je l'approche de ma bouche et je souffle dans le petit trou.

Une bulle de savon se forme instantanément mais elle est trop minuscule pour s'échapper du chalumeau. Elle reste collée à la paroi. Je dois souffler plus fort malgré les coups de pied de Natacha qui m'incitent à plus de sagesse. Elle finirait par me faire mal !

Une bulle de savon, puis une seconde et une autre encore prennent bientôt l'air et éclatent rapidement.

Ouf ! La maîtresse tourne le dos ; elle n'a rien remarqué.

Mais, je vous l'ai dit, je suis incapable de m’arrêter. Je souffle, je souffle de plus en plus fort. Une grosse bulle s'échoue sur le bureau de la maîtresse. Une autre, énorme, heurte sa tête. Bientôt, la salle est envahie de bulles qui volent de mur en mur. Mes camarades se battent à coups de bulles de savons. C'est le pugilat !

Malheur, je suis fichu !

Sans se retourner, la maîtresse crie :

- Alex, vous me copierez cinquante fois : Je ne dois pas faire des bulles de savon en classe. Allez voir Monsieur le directeur !

À croire qu'elle a des yeux dans le dos ! Une vraie mouche !

Natacha me sourit pour me consoler, mais trop tard : je suis puni. Une fois de plus !

 

Chapitre 2

 

L’incroyable se produit

 

Le lendemain, mercredi, les bulles naissent à volonté. La maîtresse n'y peut rien. Nous sommes installés sur ma terrasse et profitons du ciel bleu.

J'ai prévu une importante réserve de savon. Une première bulle vibre bientôt dans l'air, se gorge de rayons de soleil et s'irise. Ah ! Qu’elle est belle ! Clac ! Elle a explosé. Une deuxième sort du chalumeau et se met à enfler. Elle se pare de couleurs chatoyantes et s’élance dans l’azur…

– Natacha ! Regarde celle-là… !

– Magnifique ! Tu es le plus grand "bulleur" de tous les temps, Alex ! Me répond ma copine sans rire.

– Si au moins, cette bulle emmenait la maîtresse avec elle ! On en serait débarrassés !

Les lignes à copier me restent sur l'estomac. Difficile à accepter de devoir s'enfermer alors que le soleil va briller ce jour-là… ! Il luit toujours pendant les punitions !

Ah ! Regarder la maîtresse s'évanouir à l'horizon et ne plus jamais la revoir ! Quel bonheur, ce serait !

Soudain, je me prends à espérer : Je souffle dans le chalumeau. Mes joues se gonflent comme Louis Armstrong quand il jouait de la trompette. La bulle grossit.

– Encore ! Encore ! M’encourage Natacha.

La bulle ne crève pas. Au contraire, elle s'élargit davantage. Mes poumons se vident, je suis au bord de l'asphyxie. La bulle va se refermer et s'en aller, emportée par le vent qui s'est levé. C’est sûr.

 

C’est alors que Natacha a fait la bêtise de sa vie. Elle a eu envie de toucher cette bulle magnifique qui enflait toujours. Ses mains ont traversé la paroi sans la percer. Je n’en crois pas mes yeux ! C’est incroyable ! C’est la première fois que ça arrive !

– Oh !

Natacha a touché la paroi de la bulle et elle est entrée sans difficultés comme si elle avait été aspirée. Et la bulle s’est refermée sur elle. Elle est complètement prisonnière de la bulle.

Elle essaie de ressortir mais elle ne peut pas. La paroi ne veut plus se rouvrir. Elle cogne dessus avec ses poings et elle lui donne des coups de pied pour la percer mais la paroi résiste.

Je griffe la bulle pour la faire crever mais mes ongles sont trop courts. Je n'aurais pas dû écouter ma mère et les couper hier ! Un couteau ! Vite ! Il me faut un couteau !

Je me précipite dans la cuisine, j'attrape celui qui traîne dans l'évier et je reviens sur la terrasse. La bulle va s’envoler. Vite, je tends le bras pour la percer avec le couteau mais elle trop loin.

Natacha se démène toujours à l’intérieur. Elle disparaît à l’horizon.

 

Chapitre 3

 

Natacha a disparu

 

Le soir, en regardant la télé, je comprends que beaucoup d’autres enfants disparaissent tous les jours dans le monde. Malgré les recherches, on ne les retrouve pas. Pas de nouvelles de Natacha.

– La situation est grave !

Je m’aperçois que je parle tout haut, comme si quelqu’un pouvait m’entendre. Mais je suis seul. Mes parents n'ont pas vu le reportage. Heureusement, parce qu'ils m'auraient interdit de sortir.

Beaucoup de questions se bousculent dans ma tête : Pourquoi Natacha a-t-elle pu entrer dans la bulle ? Où est-elle partie ? Et si elle avait été kidnappée ? Oui, mais par qui et pourquoi ?

 

J’ai beau réfléchir, je ne trouve pas de solution. Soudain, une idée géniale germe dans mon esprit. J’ai besoin d’un gros pull et, surtout, d’un couteau bien pointu. Il n’y a plus qu’à attendre demain.

 

Le lendemain matin, je gonfle une bulle sur ma terrasse. Elle enfle comme celle de Natacha. Je ne sais pas ce qui va m’arriver et où je vais me retrouver mais je ne peux pas laisser tomber mon amie. Il faut que je parte à sa recherche ! Lorsque la bulle est suffisamment grosse, je pénètre à l’intérieur.

Le vent tourbillonne autour de ma bulle, il la soupèse. Ça y est : il la pousse en dehors de la terrasse, il la soulève dans les airs. Me voilà parti : le voyage commence !

J'essaie de me maintenir droit mais la bulle virevolte dans tous les sens. Je suis ballotté de tous les côtés. J’écarte les jambes pour garder l'équilibre, m'arc-boute à la paroi mais je ne suis pas assez costaud. Rien ne sert de s'opposer; le vent est trop fort. Je m'allonge au fond de la bulle pour faire contrepoids.

D’ici, je surplombe les toits bariolés des immeubles. Voilà le clocher de l’église. Ma bulle fonce droit sur lui. Je vais l’accrocher et ma bulle va éclater. Je pèse de tout mon poids vers la gauche et je l’évite de justesse. Ouf, sauvé !

Bientôt le soir tombe. J'ouvre mon sac, enfile le pull, caresse le couteau pour me rassurer. J'admire les lumières d'une ville que je survole. Tous ces points sont des lampes qui éclairent des familles heureuses. Et moi, je me balance tout seul dans les ténèbres ! Brrr, pourvu que la bulle ne crève pas !

Je pense à mes parents qui ont dû découvrir ma lettre : "Natacha a disparu. Je suis parti à sa recherche. Je sais où elle est. Ne vous inquiétez pas !"

J’espère que j’ai choisi la bonne solution ! La nuit s'obscurcit de plus en plus.

Je finis par m'endormir, bercé doucement par le balancement de la bulle.

 

Chapitre 4

 

Le pays des bulles de savon

 

Soudain, une secousse me réveille. Depuis combien de temps suis-je enfermé là, entre ciel et terre ? Pour combien de temps encore ?

Le jour est levé. La bulle s'est immobilisée en plein ciel. Qu'attend-elle pour se remettre en route ?

Je regarde autour de moi : au-dessus, rien ; à gauche, rien ; à droite, le vide.

   Je baisse les yeux. C'est alors que j’aperçois d'autres bulles beaucoup plus grosses que la mienne. Des bulles, des dizaines de bulles, qui tournent inlassablement sur elles-mêmes.

À force d'observer, je comprends qu’elles contiennent des fragments de village : une église avec son clocher, une mairie, une gare.

D'autres bulles enferment des animaux : un cheval, une vache dans son pré, un chien qui aboie, des moutons qui paissent paisiblement. Tous les animaux qu'on rencontre dans un village.

C'est comme un puzzle ! Chaque pièce est séparée d'un ensemble dans l'attente d’être réunie aux autres pour former un tout.

Oui. Mais pour former quoi ? Et où sont les enfants ?

Tout à coup, ma bulle redémarre. Elle tombe dans le vide. Je suis plaqué au fond par la vitesse qui augmente. Rien à faire pour l’arrêter.

La chute est vertigineuse, la terre se rapproche très vite. Je ferme les yeux pour ne pas me voir percuter le sol.Je ne veux pas mourir !

Et puis, un miracle se produit. La bulle vient de cogner contre quelque chose. La chute est stoppée. Je rouvre les yeux : une bulle s'est mise en travers de ma course et l'a retenue.

Natacha ! J'ai retrouvé mon amie. Elle est toujours enfermée. Du doigt, elle indique un point sur terre. Mais où ?

Le mieux est de sauter. Je ne suis pas très haut. Le sol est plat et il y a de l’herbe. Avec un peu de chance, je devrai atterrir en douceur.

 

 

Chapitre 5

 

Le bonhomme qui fait des bulles

 

J'empoigne mon couteau, l'enfonce dans la paroi du fond de la bulle. Elle se déchire par le milieu. J'ai toujours rêvé de faire du parachutisme. C'est l'occasion d'essayer.

Je m'agrippe aux deux côtés de la bulle. Mes jambes pendent dans le vide. Je me maintiens à la force des bras. Le sommet de la bulle me sert de voilure de parachute.

La descente commence. Mais le vent contrarie mes projets. Au lieu de descendre droit, mon parachute se déplace vers Natacha.

Bon. Je vais changer mes plans. Je gigote comme un beau diable pour m'en rapprocher davantage. Je l'atteins presque.

C'est alors qu'une bourrasque imprévue me propulse dedans. J'envoie un coup de pied dans la bulle de Natacha qui se déchire. Elle attrape le reste de sa bulle et se suspend après.

Nous nous laissons descendre. Natacha se pose sur un rocher. Le vent l'a emportée plus rapidement que moi.

C'est alors que je vois un bonhomme qui lève le nez dans ma direction. Il est trop tard pour l'éviter. J'atterris sur ses épaules à califourchon.

Je saute par terre. Je suis devant un vieux bonhomme aux longs cheveux blancs. Ses yeux sont embués de larmes.

– Vous avez détruit l’œuvre que j'avais mis des années à construire. Regardez ce que vous avez fait !

Natacha et moi tournons la tête : les bulles se sont volatilisées.

– Tout a disparu ! Tout a repris l'ordre du Temps !

Je hurle :

– Elles sont où, les bulles ? Et les enfants, qu'est-ce que vous en avez fait ?

 

Alors, le vieux bonhomme explique :

– Il y a très longtemps, je vivais dans un village. Je passais mes journées à faire des bulles de savon. Mon chalumeau ne me quittait pas. Je faisais des bulles de plus en plus grosses. Petit à petit, les habitants ont quitté mon village et moi, je suis resté seul. J'ai toujours regretté l’animation qui y régnait. Heureusement, j'avais gardé mon chalumeau. Les bulles m'aidaient à mieux supporter ma tristesse.          

Et puis, un jour, j'ai découvert le moyen d'emprisonner dans les bulles des objets ou des gens. C'est comme ça que j'ai commencé à kidnapper des animaux ou des enfants. Je voulais recréer mon village. Mais en craquant vos bulles, vous avez libéré les autres. Les enfants qui étaient enfermés dedans sont revenus près de leurs parents et moi, je n'ai plus qu’à jeter mon chalumeau; il ne me sert plus à rien !

– Les enfants sont vivants, alors ? Je demande, inquiet.

– Tout a toujours continué à vivre. Je n’enlevais pas les enfants ou les animaux pour les tuer mais pour ne plus être seul.

Natacha s'est assise sur les genoux du grand-père. Elle essuie ses larmes d'un revers de main.

– Ne t’inquiète pas, grand-père ! On ne dira rien ! J’ai une idée : Garde ton chalumeau, on repart chez nous…

 

Chapitre 6

 

Un pépé souffleur

 

La punition s’éternise. La phrase que je recopie bêtement me fait sourire :

Il ne faut pas faire de bulles en classe.

De ma place, je vois la maison du grand-père. Le maire la lui a louée. Pour payer le loyer, grand-père fabrique des chalumeaux et les vend aux enfants du village.

Il leur fait une démonstration, souffle dans le trou et crée une bulle. Tous les enfants l'adorent.

Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour être aux côtés de grand-père et de Natacha et faire des bulles. Mais je dois aligner des phrases idiotes :

Il ne faut pas faire de bulles en classe.

Soudain, j’ai une idée. Grand-père doit rencontrer ma maîtresse.

Justement, c'est elle qui me surveille.

– Madame, j'ai mal aux doigts ! Je peux m’arrêter ?

Elle soupire :

– Bon ! D’accord !

– Vous voyez, le vieux monsieur là-bas ? Il fait un truc super. Venez ! Il va vous montrer...

Nous sortons de l'école. La maîtresse attrape ma main pour traverser la rue.

– Grand-père, je te présente ma maîtresse ! Elle voudrait voir le tour de magie que tu fais avec les bulles de savon. Tu lui montres, grand-père ?

Et grand-père souffle dans son chalumeau. Une bulle en sort. Elle grossit, grossit et devient énorme.

Soudain, Natacha pousse la maîtresse à l’intérieur et comme la maîtresse ne m’a pas lâché, je me retrouve coincé avec elle dans la bulle. Nous décollons. On est serrés là-dedans. Elle me prend dans ses bras. Pour gagner de la place et, peut-être aussi, pour se rassurer parce qu’elle est blanche comme un linge.

Nous prenons de la hauteur. La maîtresse se calme un peu et regarde le paysage.

– Elle est belle notre ville, tu ne trouves pas ? C’est mon baptême de l’air, tu sais. Mais comment va-t-on faire pour redescendre ?

Je fouille dans ma poche et je découvre mon couteau. Je vais pour percer la bulle mais la maîtresse arrête mon geste :

– Avant, je veux que tu me promettes que tu ne feras plus de bêtises pendant la classe !

– Promis, madame ! Je vais juste faire un petit trou dans la bulle pour descendre en douceur. Nous ne sommes pas très haut, de toutes façons. Accrochez-vous !

Nous atterrissons dans un champ. Grand-père et Natacha nous rejoignent.

– Alex a promis d’être sage. Alors, je vous propose de faire, grand-père et Alex, un concours de bulles de savon et toute la classe pourra y participer ! D’accord ? Dit la maîtresse.

– Génial !

– Génial ! Répète Natacha. Je suis sûre qu’Alex va gagner.

 

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